En premier lieu, c'est la critique du capitalisme et du fascisme comme la prolongation toujours possible de celui-ci qui nous semble devoir être traitée. L'interprétation chrétienne du marxisme, à laquelle se livre Polanyi, est une façon de comprendre la condition d'étrangeté qu'éprouve l'homme moderne face à lui-même ; cette interprétation permet aussi de voir dans le fascisme la négation même du socle judéo-chrétien qui fonde en Occident la communauté humaine authentique. En second lieu, nous aborderons la question du contenu et de la construction du socialisme. Si, pour Polanyi, le socialisme est la réponse chrétienne aux défis posés par l'âge industriel, en revanche, la démocratie n'est pas une simple "superstructure" du capitalisme : une ambiguïté de l'œuvre de Marx est alors soulignée. Le socialisme, selon Polanyi, est l'extension du constitutionnalisme à la sphère de l'économie. Aux mirages de l'économie de commandement, Polanyi, dès 1922, oppose déjà la nécessité éthique d'une économie décentralisée impliquant la responsabilité des producteurs-associés. D'ailleurs, la signification du socialisme semble liée à la façon politique de l'instituer. Polanyi est hostile à la doctrine selon laquelle la stricte préservation de l'intérêt économique d'une classe sociale est à même d'assurer sa sauvegarde à long terme, car la lutte de classes doit tenir compte d'enjeux sociaux globaux. D'une façon générale, contre toute forme de déterminisme, singulièrement celui de la IIième internationale, Polanyi oppose la valeur de ce qui est dû aux choix conscients et responsables. Enfin, nous présenterons les débats anthropologiques qui marquèrent la seconde grande période de l'itinéraire de Polanyi. Jusqu'en 1936, il est possible d'inclure Polanyi dans le courant austro-marxiste ; après 1950, Polanyi critique l'idéologie économique qui caractérise nombre d'aspects du travail des sciences sociales. Les figures du travail de Marx qui sont inspirées par l'économisme occidental sont dénoncées par Polanyi ; mais Polanyi lui-même et certains membres de son école distinguent bien Marx d'Engels. Il n'en reste pas moins que les investigations de Polanyi sont une façon de conserver certains acquis du travail de Marx tout en s'émancipant du cadre de la dialectique. Popper lui-même reconnaît une dette envers Polanyi : celui-ci lui aurait montré les vertus d'un "nominalisme méthodologique" pour les sciences sociales dans les années 20. C'est cette même attitude qui inspire le programme Columbia des années 50 et qui provoque le rejet par certains marxistes de la méthode dite "substantive". Mais, ce que rejette Polanyi, ce n'est pas l'intérêt de l'analyse marxiste pour le capitalisme de son époque, c'est plutôt l'extension aux sociétés non-modernes de concepts imprégnés par la modernité ; c'est enfin, le refus de toute "loi" de développement social. Par où Polanyi, sans être cette façon d'anti-Marx à l'usage de "radicaux" pour les temps post-modernes, se révèle aussi pertinent qu'actuel.