Les particularités de la relation entre la comptabilité privée et la comptabilité nationale en France s'inscrivent dans leur histoire. Elles témoignent d'une conception singulière de l'information économique et des relations entre l'Etat, les entreprises, les économistes et les comptables. Ces particularités tiennent à l'histoire de la comptabilité nationale et de la normalisation des comptabilités générale privées entre les années 1920, quand apparaît l'idée d'un usage macro économique des données comptables, et le décret du 28 octobre 1965 qui, obligeant les entreprises à déclarer leurs bénéfices de façon normalisée, rend officielle et systématique l'usage de ces informations par la comptabilité nationale. Ce décret met un terme au bricolage des comptables nationaux qui se contentaient jusqu'alors de données éparses collectées auprès des comptables publics, des statisticiens de l'INSEE ou de la direction générale des impôts (DGI). Il témoigne d'une reconnaissance générale de la nécessité de l'information économique et du profond changement des mentalités des dirigeants politiques et économiques qui, avec Valérie Giscard d'Estaing son signataire, acceptent d'utiliser massivement des sources privées pour établir les comptes nationaux. Le décret officialise une collaboration qui se faisait discrète jusqu'alors pour ne pas heurter frontalement les défenseurs du secret des affaires, qui sont aussi les fournisseurs essentiels des données primaires. Bien que les fondateurs de la comptabilité nationale l'aient conçue par analogie à la comptabilité privée, cette collaboration n'a pas été spontanée. Les formulations pionnières de l'idée d'un usage macro économique des comptabilités privées avant 1940, puis la publication du premier plan comptable général français pendant l'Occupation introduisent les conditions d'une collaboration. La comptabilité nationale devient un moteur déterminant de la normalisation des comptabilités privées. Après la Libération, l'Etat réclame des indicateurs pertinents pour diriger l'action. Des économistes français et anglo-saxons poussent l'analogie entre la comptabilité privée et la comptabilité nationale. Les préoccupations théoriques sont ensuite marginalisées par les nouveaux experts de la comptabilité nationale, abrités par le Trésor et guidés par des objectifs pratiques et immédiats. Les comptables nationaux renforcent leurs liens avec les foyers de l'élaboration des statistiques et du plan comptable et exercent de fortes pressions pour accélérer la normalisation. Ils contribuent à faire adopter un nouveau plan en 1957, puis la loi de 1959 prévoyant sa généralisation progressive et le décret de 1965. Cette implication n'existe pas ailleurs, sauf en Belgique et en Allemagne, car les statisticiens comptables nationaux, qui n'ont pas accès aux données individuelles ne les utilisent pas, ou peu dans le cas des États-unis. La collaboration entre les comptables nationaux et les économistes distingue également la France des pays anglo-saxon où la comptabilité nationale entre dans la sphère d'influence des théories dominantes et des intérêts privés, où les économistes méconnaissent les réalités tangibles retenues par les comptables d'entreprises et nationaux et où ces deux comptabilités se développement de façon disjointe jusqu'à l'adoption récente des normes IASB / IFRS.