French Abstract: La Direction centrale de la statistique soviétique, la TsSOU, est créée en 1918 avec le soutien de Lénine. Pavel Illitch Popov en est le premier directeur (1918-1926). Centralisant le système régional des zemstva hérité du régime tsariste, la TsSOU est le cœur névralgique de la statistique soviétique pendant la NEP avant d’être dominée puis absorbée par le Gosplan. A la TsSOU, Popov défend sa vision d’une statistique qui, au service de la révolution et de la dictature du prolétariat, est scientifique avant toute chose, dans la lignée du socialisme scientifique. A ce titre, Popov considère que la statistique est un dispositif décisif de la transition vers la société communiste future. En 1926, il expose sa vision dans un ouvrage collectif qu’il dirige et qui est publié par la TsSOU : la Balance de l’économie nationale de l’URSS 1923–24. Inventant le principe moderne de la comptabilité nationale et de la macroéconométrie intersectorielle, il y propose et met en œuvre une ingénierie sociale fondée sur le principe de la balance comptable de l’économie nationale. Contre les « utopistes » qui ne fondent pas leur vision de la société future sur la théorie économique, il met en avant le rôle de l’économie politique marxiste qu’il propose comme socle de la politique économique et de la planification. A partir des schémas de la reproduction de Marx, il construit le bilan comptable de l’économie soviétique ainsi qu’un modèle mathématique à deux départements représentant l’interdépendance générale entre les unités qui composent l’économie. Pour Popov, cette balance doit être à même de guider la politique économique et de permettre d’élaborer le plan pour conduire l’économie en transition vers la société communiste. Notre article a pour but d’examiner du point de vue de l’histoire de la pensée économique la contribution spécifique de Popov, d’en déterminer ses enjeux scientifiques et d’identifier son insertion dans les débats des années 1920 en URSS sur les fondements analytiques de la planification.English abstract: In 1918 the Central Statistical Administration (TsSU) was founded with the support of Lenin. Pavel Illich Popov was its first director (1918-1926). TsSU proceeded to the merging and centralization of the former decentralized statistical system of the zemstva (local governments) inherited from Tsarist regime. Between 1918 and 1928, i.e. during the civil war and the NEP, TsSU was at the heart of Soviet Statistics but it came to be controlled and eventually absorbed by Gosplan afterwards. At the TsSU Popov defended his view of social statistics as being a device for the revolution and the dictatorship of the proletariat in the political sphere while resting on strong scientific foundations in accordance with international standards. Rooted in Russian statisticians’ tradition, the objectivity and scientific nature of the works issued by the TsSU was Popov’s credo. In 1926, Popov exposed his views in a collective book he edited and published by the TsSU, The Balance of the National Economy of the USSR, 1923―24. In The Balance was exposed for the first time the modern principles of national accounting and intersectoral macroeconometric analysis. According to Popov, these were the relevant devices for social engineering in the NEP. Against “utopian” authors, Popov stressed the importance of founding social engineering and planning on economic theory and political economy. He thus explained how his statistical balance was an outgrowth of Quesnay’s Tableau économique and Marx’s schema of reproduction. Our article aims at examining Popov’s specific contribution as well as identifying its stakes and its significance in the economic debates during the 1920s